DES TURCS BOYCOTTENT CAFéS ET RESTAURANTS AUX «PRIX EXORBITANTS»

Une experte en finance est à l’origine d'un appel au boycott lancé uniquement pour ce week-end et partagé des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux.

Un appel au boycott dénonçant «les prix exorbitants» des cafés et des restaurants a mobilisé de nombreux Turcs ce week-end. Une première en Turquie, prise depuis plusieurs années dans une spirale inflationniste. «C’est un mouvement populaire. Le peuple en a marre et montre sa réaction», affirme Iris Cibre, une experte en finance à l’origine de cet appel au boycott lancé uniquement pour ce week-end et partagé des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux.

Des cafés et des restaurants ont vu leur fréquentation baisser dans certains quartiers d’Istanbul et d’Ankara samedi et dimanche, tandis que d’autres étaient remplis essentiellement de touristes, a constaté l’AFP. «Avec mes amis, on a décidé de se retrouver dans un parc et non dans un café comme d’habitude», raconte Ceren, étudiante à Ankara et qui soutient le boycott. «On est de toute façon ruinés à chaque fois qu’on sort, ça nous fera du bien», sourit-elle.

Pour Iris Cibre, la somme de 880 livres turques (près 25 francs) versée mi-avril pour un plat et un café dans un bistrot de quartier qu’elle fréquente souvent à Istanbul a été le déclic. «Il y a dix mois, j’avais payé 345 livres (près de 10 francs) pour le même plat et un café. Cela veut dire 155% de hausse en livres turques. Même en dollars, la hausse est de 80%. Or, nous n’avons pas vécu une telle inflation», réagit-elle.

Elle décide alors de lancer sur X un appel à boycotter les cafés et les restaurants en Turquie les 20 et 21 avril pour protester contre «les prix exorbitants». Son appel est partagé par des centaines de milliers d’internautes qui se plaignent «d’une soupe à 200 livres» (près de six francs) ou d’un sandwich kebab à 300 livres (8,40 francs) et des commerçants «opportunistes» qui «arnaquent» les consommateurs.

La hausse des prix dénoncée par Mme Cibre dépasse les chiffres officiels de l’inflation, déjà élevés (68,5% en mars sur un an), mais aussi ceux des économistes indépendants qui l’ont estimée en mars à 124,6% en Turquie.

Le salaire minimum net est de 17'000 livres turques (475 francs) en Turquie. Malgré les salaires bien moins élevés que dans la plupart des pays européens, les prix de nombreux produits et services en Turquie ont récemment avoisiné et parfois dépassé ceux pratiqués en Europe.

«Opportunisme»

«Je suis consciente des coûts élevés, ainsi que des mauvaises politiques du gouvernement à l’origine de cette situation. Mais rien ne justifie ces prix qui dépassent l’inflation», s’insurge Mme Cibre. Son appel individuel, qui n’a le soutien d’aucun parti politique ou ONG, a trouvé un écho dépassant le seul cercle des opposants. Même des journalistes pro-gouvernementaux, d’habitude réticents à reconnaître la flambée des prix, ont rejoint son appel au boycott.

Il suscite toutefois aussi des critiques. «Je ne pense pas que ce genre d’initiatives changera les choses. Je comprends aussi les commerçants, ils doivent faire face à la hausse des loyers», estime Sabit Gul, employé dans une entreprise pharmaceutique à Ankara. «Ce boycott sert finalement à dédouaner le gouvernement et à désigner les commerçants comme boucs émissaires», estime Ömer Kuran, un retraité d’Ankara qui a refusé de s’y joindre.

Face aux critiques, Mme Cibre rappelle qu’elle a publiquement dénoncé la politique monétaire passée du président turc Recep Tayyip Erdogan. À rebours des théories économiques classiques, le chef de l’Etat a longtemps défendu des baisses de taux d’intérêt même lors des flambées d’inflation, provoquant, selon des analystes, une hausse des prix et la dévaluation de la livre turque.

Réélu en mai 2023, il a laissé la banque centrale relever son principal taux directeur à 50% en mars. «Les mauvaises politiques du gouvernement ont préparé le terrain pour l’opportunisme des commerçants. Ils abusent du dérèglement de la perception des prix», précise Mme Cibre. «Nous ne souhaitons bien sûr pas leur faillite. Nous voulons simplement des prix raisonnables et éthiques, qui correspondent à l’inflation», ajoute-t-elle.

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